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Un petit Aller-Retour Paris-San Francisco pépère

19 juillet 2019 Les Cahiers d'été
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"ENAC Alumni vous invite à découvrir ses cahiers d'été... le temps d'une petite pause, retrouvez les articles de nos précédents magazines"

 

“ Park brake released, you may push back facing north. Block time 03.10 ”

A l’heure où Paris s’éveille (il est 5 heures…10 là-bas) nous quittons San Francisco alors que le soleil va bientôt se coucher. 9h35 de vol, accéléré pour rattraper notre retard “dû à une arrivée tardive de l’appareil ”. J’adore cette expression langue de bois ! C’est l’été, il n’y pas que sur l’A6 qu’il y a des bouchons : dans les aérogares, aux filtres de police, dans les airs ; là aussi il y a des bouchons ! Nous aussi, 48 heures auparavant, étions en retard. Comment expliquer aux passagers, sans les abrutir avec un long discours, que lorsque nous sommes arrivés à l’avion à CdG (s’il savaient le grand Charles et son copain John comment nous les appelons aujourd’hui, CdG et JFK !), 1 heure avant le départ prévu, le F-GSQF venait seulement d’être mis en place parce que le point de stationnement était occupé par le vol de Montréal. Que, Etats Unis obligent, il a fallu faire la visite de sûreté, une fouille minutieuse de tout l’avion par le personnel sol, sans autre intervenant à bord, qui soulève les coussins de chaque fauteuil, vérifie les emplacements des gilets de sauvetage, les pochettes des fauteuils…  30 minutes minimum. Puis le ménage : 30 minutes avec des effectifs renforcés. Puis l’embarquement : 45 minutes quand tout va bien, avion complet avec “ seulement ” 322 passagers. Bref, notre départ initial prévu à 15h55 a l’air extrêmement compromis. L’escale l’a déjà recalé à 16h55. Je négocie, optimiste, un nouvel horaire à16h45, des fois que… Avec le vent arrière prévu, nous devions avoir 30 minutes d’avance qui pourraient donc devenir un retard modéré de 20 minutes ! Ca laissera à l’escale de San Francisco une marge de manœuvre pour tenter de rattraper l’horaire malgré un  TTM (temps de transit minimum) de 125 minutes qui est rogné dès la première minute de retard puisque le temps d’escale prévu EST le TTM ! Ca a failli marcher… Les passagers ont embarqué à l’heure (recalée) prévue, les bagages ont été chargés et puis le grain de sable est arrivé : un passager débarque. Grand classique ! Pourquoi débarque-t-il ? Parce qu’il voyage avec 2 autres passagers qui, l’avion étant complet, ne peuvent pas embarquer et ils ne souhaitent pas se séparer. Patatras : il faut RE-ouvrir les soutes, sortir les containers bagages, retrouver LE bagage à débarquer, RE-remplir le container, RE-charger les containers. 20 minutes dans la vue… Et c’est là qu’après le grain de sable arrive la cerise sur le gâteau : le créneau décollage ! Notre horaire prévu était 16h55, on nous annonce une autorisation mise en route à… 19h20. Waow, il est urgent d’attendre, ça va s’améliorer, c’est sûr ! Effectivement, notre cellule créneau a dû faire la danse du ventre : nous avons fini par partir, bien sûr. A 17h21, heure française. Ah oui, je ne vous ai pas dit : pendant tout ce temps, et ces contretemps, j’ai pris ma plus belle et sussureuse voix pour expliquer  aux passagers que j’étais désolée mais que… En français, en anglais, et une annonce et 2 et 3 (non pas 3-0, c’était en 98). J’ai dû en faire 4 ou 5 d’ailleurs : certains jours sont plus fastes que d’autres pour qui aime communiquer ! Et le miracle arrive : les portes sont fermées et nous pouvons repousser. EN-FIN partis. Soupir d’aise et de soulagement.

Pilotes, nous avons tous le même sentiment : les ennuis, c’est au sol.

Je grossis le trait évidemment ! Partir sur l’Afrique ou l’Amérique du Sud avec le FIT (pardon, la zone de convergence intertropicale) à traverser n’est pas une promenade de tout repos ! Mais au moins, en l’air, nous sommes EN-FIN au cœur de notre métier. Une fois partis, il nous faut gérer le scénario prévu, avec LE “pétrole” choisi. Anticiper les aléas et toujours avoir un plan B dans la poche. Vous savez comme au Mille bornes : “ coup fourré, coup fourré ! ” EN-FIN seuls, avec l’océan, l’Islande, le Groenland puis le grand nord canadien devant nous. Nous avons fini par l’avoir notre récompense ! Quelques orages sur les Rocheuses, à la frontière entre le Canada et les Etats Unis, un évitement à négocier entre Winnipeg/Edmonton et  Salt Lake. Le Cu-nimb’ avait eu la bonne idée d’être pile-poil sur WLLES, au point de jonction des 3 FIR.

La baie de San Francisco n’était pas très dégagée à l’arrivée. Les nuages butaient sur les collines de la côte, s’élevaient, laissant émerger les antennes de Twin Peaks, puis redescendaient en se dissolvant dans la baie (l’effet de Foehn pour les Nuls) ou s’engouffraient dans le passage du Golden Gate, nous le cachant. On pouvait cependant voir Sausalito et Tiburon, Angel Island, Alcatraz, Bay bridge et au loin notre aéroport. Un instant magique. Même s’il faut en même temps se concentrer sur l’approche ! Toujours assez haute, souvent raccourcie et rapide, comme le débit des contrôleurs qui seraient bien inspirés de relire les recommandations OACI (pardon ICAO, annex 10) sur le débit recommandé (« Maintain an even rate of speech not exceeding 100 words per minute », tu parles !).

Nous sommes arrivés à 02.29Z soit 1 heure et 4 minutes de retard à l’arrivée pour 1 heure et 26 minutes de retard au départ : à l’impossible, nul n’est tenu !

Débarquement, passage des formalités de police, valises récupérées. Dans la navette, nous roulons à 20h30, heure locale, et arrivons à l’hôtel vers 21 h. Il est donc 6h du mat’ à Paris. Pour moi ce sera coucouche panier, papattes en rond. Les “ jeunes ” OPL vont prendre une bière et avaler un hamburger. C’est beau la jeunesse ! Moi, j’aime pô les hamburgers, hi hi ! Le lendemain matin, la Transamerica tower a la tête dans les nuages. Ca se lèvera plus tard mais le soleil restera caché près de la côte. Je pars faire mon tour de vélo rituel : itinéraire pépère pour grande sportive connaissant le relief de San Francisco ! Market street, Duboce, Panhandle puis Golden gate park, une petite ascension en douceur vers Presidio hill et son golf via Lake street et la 5ème avenue et je redescends vers le Golden gate bridge, toujours sous les nuages. A Sausalito, je suis de nouveau au soleil et j’y resterai durant le tour de la baie vers Tiburon. Au calme, seule, j’avance à mon rythme. Je savoure ce moment de détente. A Tiburon, le ferry me ramène au… ferry building ! Et hop une petite balade le long des quais vers China Basin puis je fais le tour de Mission creek et ses maisons flottantes, à l’image de celles que l’on voit à Sausalito. Le jour du big one, flotteront-elles toujours ou un tsunami les balayera-t-elles ? Le lendemain matin, nous apprenons que, nous aussi, nous repartirons en retard : le réveil est recalé de 35 minutes : 17h50 au lieu de 17h15. J’en déduis donc, dès le matin, qu’il va nous falloir accélérer le vol, etc… Et c’est reparti ! Le vol se prépare déjà dans ma tête. Un autre petit tour matutinal jusqu’à Crissy Field, un ancien champ d’aviation au pied du Golden gate bridge (qui n’existait pas à l’époque !) et hop, je rends mon fier destrier, qui avait passé la nuit… dans ma chambre. Ces américains sont pragmatiques : this is your room, you can take the elevator with your bike and keep it in your room !

Déjeuner puis sieste avant le retour (partiellement) de nuit.

03.10 Z, nous repoussons, avec 40 minutes de retard.

Ce sera un vol accéléré (Cost Index 250/Mach 0.85). 2 tonnes de pétrole en plus en TRIP FUEL. Nous gagnerons 10 minutes et arriverons ainsi à l’heure, ou presque ! Les correspondances seront assurées, youpi ! Le carburant prévu à l’arrivée est de 8,5 tonnes. Je voulais 8 tonnes, les OPL, prudents, en voulaient 9, nous avons coupé la poire en 2. Sur B777/300 cela permet une remise de gaz et un atterrissage avec une quantité carburant raisonnable, au dessus du FUEL LOW fatidique de 4 tonnes qui entraîne une NNC (Non Normal Check-list), un atterrissage volets 20 qui consomme de la piste, etc… La météo prévoit PROB 30 TEMPO –TSRA. Sans vouloir faire de jeu de mots, on a l’impression que les prévisionnistes sortent toujours leur parapluie ! “ Il fera beau mais p’t’êt’ pas ” Le vol est calme. Notre retard nous permet d’éviter les orages qui se sont dissipés. Comme à l’aller, nous sommes en ETOPS avec pour points d’appuis Winnipeg, Gander et Shannon.

Le grand nord canadien est presque aussi accueillant que l’océan en cas d’urgence !

Nous économisons du carburant sans avoir rien fait de spécial : on n’est pas à l’abri d’un coup de chance ! L’atterrissage est prévu avec 9 tonnes de carburant. Les collègues vont se moquer de nous : vouaaah, y z’en ont pris trop ! Oui mais… Une petite tache rouge au radar sur Creil commence à prendre forme. L’OPL suggère une déviation.

J’hésite :

“  - Demande aux contrôleurs si les avions passent sur Creil

- Pour l’instant  oui, personne n’évite ”

Mouairf. La tache rouge se renforce… Nous serons les premiers à “ éviter ”. Vite, il faut prévenir les PNC : rejoignez vos sièges au plus vite et attachez-vous. La zone rouge s’étend encore. Je passe à 15 Nm au nord de Creil, des échos magenta annoncent la turbulence. Un coup d’œil à la caméra de surveillance de l’accès au poste : ça y est, ils sont attachés. J’aurais dû passer à 20 Nm : nous serons secoués, foudroyés et grêlés. La totale ! Et puis soudain, on en sort, tout se calme. Guidage pour la 26R, la piste longue. La 26L est fermée en ce moment, en rénovation. Tant mieux : le vent est en train de passer franchement arrière, ça nous arrange. En évitant les premiers, nous avons été suivis et, de numéro 3 à l’approche, nous sommes passés numéro 1. Finale 26R. Le vent forcit. Nous pouvons aller jusqu’à 15 Kts arrière. L’OPL de renfort fait un rapide calcul sur son iPad (pour la beauté du geste) : ça passe. Evidemment, avec 3600 mètres de piste ! Nous ferons l’approche avec 10 Kts arrière, stables !

Se poser face à l’est ? Oubliez : si l’approche est dégagée, la remise de gaz est compromise. Devant nous une barre noire et un écran radar rouge. Nous prévenons le contrôle : “ En cas de remise de gaz, ce sera virage à gauche immédiat ”

“ OK, pas d’approche en cours sur le Bourget ”.

Je pense en mon for intérieur “ Avion en approche ou pas, on tournerait à gauche et l’avion du Bourget aussi ! ”

Au moment où l’avion se pose, le ND (Navigation Display) affiche un beau triangle jaune, des arcs rouges juste droit devant : WINDSHEAR. Ouf, il était vraiment temps d’atterrir ! Il est 14.26Z pour un horaire d’arrivée à 14.25Z. Pas mal ! Le roulage est très court,  nous aurons 5 minutes de retard. Yesss, bien joué. Oui mais : “ AF 085, tournez à gauche, je dis bien à gauche sur Roméo, votre parking est occupé. Vous allez attendre sur l’aire de dégivrage en UT4. ”

Et m…

En UT4, nous coupons un moteur. L’orage arrive sur nous. Pluie, rafales de vent, éclairs, tonnerre… En cas d’orage, les opérations sol s’interrompant, notre attente va sûrement se prolonger. Nous coupons le 2ème moteur. Annonce aux passagers… Puis étonnamment, 5 ou 10 minutes plus tard, on nous donne un nouveau parking. Redémarrage d’un moteur, roulage sous la pluie. Le train avant fait de jolies gerbes d’eau : nous le voyons grâce à la caméra ! Nous arrivons par le travers d’E28. Personne pour nous guider. Il pleut, l’orage gronde. Nous appelons l’escale : “ En raison de l’orage, toutes les opérations sol sont suspendues. ” Annonce aux passagers, appel au CCP (Chef de Cabine Principal). Nous ferons finalement le bloc à 15.15 (Marignan !)Z. 55 minutes de “ roulage ”, 800 kilos de carburant. Si j’aurais su, j’aurais resté dans ma penalty box d’UT4 !

Voilà ce qu’est pour moi le métier de pilote de ligne.

Un petit vol cool, sans difficulté majeure. Une destination sympa, une escale détendue. Et cependant, des petits grains de sable partout, qu’il faut éliminer. Un vol retour de Tokyo Haneda en 777/200 où nous avons dérouté sur Saint Petersbourg, après avoir vidangé 12 tonnes de carburant, pour un passager malade (99 ans tout de même !). Nous y avons fait nous même les pleins, de carburant et d’huile moteur ! Ca sort de la routine habituelle. Et il a fallu prendre la “ marge du CdB ” pour assurer le retour à Paris car la limite de nos  temps de service de vol était dépassée, évidemment.

Un dégagement sur Lyon, au retour de Pointe à Pitre en 747/300, un jour de neige à Paris avec un passager sur civière qui devait être évacué sur Genève rapidement. Nous sommes repartis juste à temps. Abandonnant nos collègues en A340 qui, eux aussi, avaient dérouté en provenance de Cayenne… à 2. Pas de marge CdB pour eux ce jour là. Bloqués à Lyon.

A San Francisco encore, mais sur B744 : un passager français expulsé des Etats Unis, arrivant menotté entre 2 escortes, sans que j’aie été vraiment prévenue. On m’avait parlé d’INAD, ces passagers qui repartent sur l’avion par lequel ils sont arrivés, l’entrée dans le pays de destination leur étant refusée. Là, ce n’était pas vraiment le cas. Il demande à parler au Consul de France puis accepte d’embarquer pour Paris mais demande que je fasse arrêter ses escortes à l’arrivée. Il n’est jamais arrivé à Paris d’ailleurs. Il a fait un malaise atypique, 25% sérieux/75% chiqué selon les médecins à bord, mais on ne prend pas de risque au dessus des régions inhabitées. A la demande du SAMU, nous avons donc (après 54 tonnes de vidange carburant) découvert Salt Lake City…  Et toujours la même chose : c’est une fois au sol que les ennuis commencent. Cette fois là, nous étions partis avec une tolérance technique mineure. Cependant, il nous a fallu trouver un mécanicien qualifié B744 pour effectuer la procédure de maintenance obligatoire avant chaque départ. Or le mécanicien de Delta était qualifié B767 ! On trouve toujours une solution avec la qualification “ APRS de tâche ” !

Enfin ce passager me tançant vertement à l’arrivée à Rio parce que je les avais secoués toute la nuit. “ C’est pourtant simple : il y a 2 routes pour aller au Brésil. ” Je n’avais qu’à prendre l’autre ! S’il le dit… Amusée, ce jour là, j’ai posé ma sacoche, sorti mon iPad et je lui ai un peu expliqué l’aviation. Nous nous sommes quittés copains comme cochons. Encore un passager qui a peur en avion ! C’est pas moi qui l’ai dit, c’est lui qui l’a reconnu. Peut-être devrait-il envisager des vacances en Bretagne ?

Je me suis lancée dans l’aviation parce que j’avais envie de voler, de piloter, un point c’est tout.

Aujourd’hui, j’ai plus la sensation d’être dans l’humain, d’être un manager qui s’efforce de partir à l’heure et arriver à l’heure tout ça en sécurité, rentabilité, confort : une vaste gageure quoi ! Un vol c’est comme un accouchement : tout peut arriver et se dégrader vite, très vite. Au parking, passagers débarqués, avion sécurisé, c’est là qu’on peut dire que le vol s’est bien passé, pas avant. Et puis, c’est une vie de famille (j’ai 3 enfants) un peu atypique, certes. Ce n’est pas l’apanage des pilotes : les hôtesses vivent la même chose. Nous sommes, sur long courrier où je sévis depuis 26 ans, des oiseaux de nuit, toujours entre 2 valises. Lorsque mes enfants étaient petits, ils avaient bien résumé la situation : “ Maman, ou elle est partie, ou elle dort. ” Je vois cependant déjà la question qui vous brûle les lèvres : oui mais… Etre une femme dans ce milieu d’hommes, ça change quoi ? Pfffff, vaste sujet. D’autres ont écrit des livres pour en parler beaucoup mieux que moi. Il y a eu des réflexions stupides, oui, parfois. Elles n’ont jamais grandi ceux qui les proféraient Certains, parmi ces messieurs, ont des gros problèmes avec leur Môman. Et c’est nous qu’on trinque ! Qu’y faire ? Laisser glisser. On est dans l’irrationnel, il n’y a donc rien à répondre. Oui, on a parfois été, inconsciemment ou pas, plus exigeant avec nous qu’avec les mâââles dominants qui nous entouraient. Nous avons toutes intégré cette exigence dans notre schéma mental, les anciennes dont je fais partie du moins. Et il est cocasse de voir aujourd’hui mes collègues me reprocher ma grande exigence : “ Eh ben fallait pas me formater comme ça ! Et c’est qui qui m’a formée, hein ? Peut-être faudrait-il aussi vous regarder dans la glace les gars ! ”

Une dernière anecdote

Une réflexion avait été lancée par un collègue CdB constatant un taux d’échec supérieur en formation chez les filles. Il s’agissait de chiffres objectifs, point. Mais il avait lancé cette remarque et me demandait si je voyais une explication. Je n’ai répondu qu’une chose : “ Tu cherches peut-être au mauvais endroit ? T’es-tu posé la moindre question sur les instrucTEURS au lieu des stagiaires ? ”

 

Par Valérie Loevenbruck EPL80, CdB B747/100/200/300/400 puis B777

"16 000 heures de vol (à mon âge, c’est peu !)"

 

Retrouvez l'ensemble du dossier "Histoires de Pilote : l'avion comme passion, les cieux comme bureau..." dans le Mag#23 d'ENAC Alumni




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