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La règle de deux du Contrôle du Trafic Aérien (ATC) = double soucis !

23 juillet 2019 Les Cahiers d'été
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"ENAC Alumni vous invite à découvrir ses cahiers d'été... le temps d'une petite pause, retrouvez les articles de nos précédents magazines"

Un piège pour la mémoire à court terme du contrôleur

JIM KRIEGER, SR. EXPERT ATC

Il y a quelques années, alors que j’étais Responsable de l’Assurance Qualité du Trafic Aérien à la Tour de l’aéroport de Chicago O’Hare, je suis tombé sur un phénomène qui s’est répété de manière suffisamment fréquente pour justifier de l’inclure dans le briefing initial des nouveaux contrôleurs aériens d’O’Hare. Nous l’avons surnommé la Règle de Deux de l’ATC pour des raisons non scientifiques. Cette règle peut être libellée de la manière suivante : à chaque fois qu’un contrôleur attend la survenance de deux évènements avant de délivrer une certaine clearance, il y a une forte probabilité que la réalisation d’un seul des deux évènements amène le contrôleur à délivrer la clearance malgré le fait que le second évènement n’est pas encore survenu et reste encore pertinent, provoquant ainsi une situation dangereuse. Prenons l’exemple d’une situation dans laquelle un contrôleur doit donner l’autorisation de départ à un avion tout en attendant qu’un autre avion atterrisse sur une piste croisant la piste de décollage ET qu’un véhicule libère la même piste de décollage. Si le véhicule signale avoir quitté la piste de décollage, le contrôleur sera alors tenté d’autoriser l’avion qui décolle à rejoindre la piste et à lui donner l’autorisation de décollage sans même regarder la position de l’avion en conflit en train d’atterrir. Vous savez quelles peuvent être les conséquences d’une telle décision et nous avons malheureusement vu ce type de situation se produire plusieurs fois à Chicago.

 

Exemple

Le 23 juillet 2006, un B747 d’Atlas Air et un B737 d’United Airlines ont failli entrer en collision à l’intersection des pistes 28R et 15 de l’aéroport international Chicago O’Hare. Le B747 d’Atlas Air avait reçu l’autorisation d’atterrir sans aucune restriction alors qu’il était encore à plusieurs kilomètres de son point d’approche finale (FAF) sur la piste 15 (condition 1). Autoriser un avion à atterrir alors qu’il est encore loin de l’aéroport n’est pas fréquent à O’Hare et ce n’est pas recommandé dans la mesure où cela étend la mémoire immédiate au-delà du temps nécessaire, comme ce fut probablement le cas dans cet exemple. Le B737 d’United reçut alors l’autorisation de s’aligner et d’attendre à l’intersection de la piste 28 R. Ce à quoi l’équipage répondit qu’il lui faudrait quelques minutes car il n’était pas encore prêt pour le départ (condition 2). Ceci est une autre pratique qui est interdite dans de nombreux pays à ma connaissance, et c’est légitime. Une piste est un endroit dangereux et le temps qu’un avion doit y passer doit rester très limité. Après quelques instants, le B737 d’United indiqua être prêt pour le départ (condition 2 satisfaite) et le contrôleur donna immédiatement l’autorisation de décollage malgré le conflit (avec Atlas Air) sur la piste 15 (condition 1 encore très pertinente). Le contrôleur remarqua le conflit trop tard et les avions se manquèrent à une distance estimée à 10 mètres au moment où le B737 survola le B747 sur la piste 15. Difficile de croire qu’une telle chose a été possible mais c’était bien le cas. J’aurais aimé pouvoir vous dire qu’il ne s’agit que du travail d’un contrôleur incompétent mais cette personne n’avait jamais été impliquée dans aucun évènement sérieux auparavant et elle était très respectée par ses pairs. En une autre occasion, un contrôleur travaillait sur les décollages sur une piste qui était sporadiquement survolée par des avions atterrissant sur une autre piste, créant des conflits de pistes (condition 1).

Figure 1

Pour aider à visualiser la situation, regardez la figure 1. Bien que les deux pistes ne soient pas sécantes, les trajectoires de vol se croisent. Un B757 atterrissant sur la piste 9R (flèche rouge) a croisé la piste de départ (piste 33, flèche verte). Le contrôleur décala de 2 minutes l’autorisation de décollage, le temps que les turbulences de sillage se dissipent (condition 2). Ceci correspondait aux exigences standard de séparation à l’époque où cet évènement s’est produit. Dès que les deux minutes eurent expiré (condition 2 satisfaite), le contrôleur a donna l’autorisation de décollage sur la piste 33 sans se préoccuper d’un autre avion en train d’atterrir sur la piste 9R (condition 1 encore très pertinente). Les deux avions se sont croisés de très près au niveau de l’intersection entre les deux pistes.

Figure 2

Un autre exemple dans un scénario similaire, impliqua un contrôleur travaillant sur les avions au décollage à une intersection à un autre endroit de l’aéroport (voir figure 2). Le contrôleur attendait les atterrissages sur la piste 28C (condition 1, flèche rouge) ET attendait qu’un véhicule d’intervention libère la piste 22L (condition 2). Comme vous pouvez le deviner maintenant, immédiatement après que l’avion en atterrissage sur la piste 22L a passé le point d’intersection (condition 1 satisfaite), le contrôleur délivra une autorisation de décollage à l’avion sur la piste 22L, alors que le véhicule d’intervention était toujours sur la piste (condition 2 encore très pertinente).

 

Analyse

En résumé, je pourrais continuer avec beaucoup plus d’exemples mais je pense que vous avez compris la situation : pour une quelconque raison, les contrôleurs aériens compétents ont un problème quand ils sont confrontés à la Règle de Deux ! Il est vrai que quelques bonnes pratiques très importantes et quelquefois des procédures ont été violées dans quelques-uns des cas ci-dessus décrits, mais je parie que ces personnes avaient fait la « même chose » avant sans aucune conséquence. Dans deux des cas, un aide-mémoire a été utilisé mais le résultat obtenu était différent de celui attendu et dangereux. Aussi, pourquoi ce genre de chose arrive-t-il à des personnes compétentes ? Quelques possibilités : nous sommes habitués à traiter un item ou un problème à la fois et la résolution de cet item déclenche un type d’action de notre part. Autrement dit, si les contrôleurs aériens étaient programmés comme des ordinateurs, le script ressemblerait à quelque chose comme ça : SI X =______, ALORS _________. Dans nos six exemples ci-dessus, cela ressemblerait à : SI l’avion en train d’atterrir sur la piste 15 n’est plus un facteur ALORS autoriser l’avion sur la piste 28R à décoller. J’ai bien peur que l’introduction d’un nouvel élément comme le fait que l’avion sur la piste 28R n’est pas prêt pour le décollage tout en annonçant qu’il l’est, a court-circuité le circuit classique et typique de décision. En d’autres ternes, le SI _______ , ALORS ________ devrait devenir SI _______ ET ________ ALORS ________. L’efficacité est primordiale dans l’industrie aéronautique et peut-être que notre désir de faire croître le trafic nous rend plus enclins à subir les pièges associés à l’élément numéro 1 ci-dessus. L’aide-mémoire est un bon outil mais il a une efficacité limitée quand plus d’une action doit être exécutée avant qu’une quelconque action soit déclenchée. Aux USA, nos aide-mémoires traitent typiquement une seule condition. La réalisation de cette condition nous amène immédiatement à déclencher une action, comme l’ordre donné à un avion de décoller. Si quelque chose d’autre doit se produire avant l’autorisation de décollage, nous devons reposer sur notre mémoire immédiate et évidemment, cela nous induit parfois en erreur. Je pense que nous devrions remédier à cela en développant le nombre et type d’aide-mémoires utilisés mais nous devons réaliser que cela pourrait causer d’autres problèmes non souhaités. Quelle qu’en soit la cause, la Règle de Deux ATC nous a donné une bonne leçon en de multiples occasions. Ne vous laissez pas piéger !

 Retrouvez l'intégralité du Mag#19 d'ENAC Alumni




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